Causes alimentaires possibles.


Croissance et leucisme

Slagsvold (1988) a pu comparer des corneilles leuciques et normales à Trondheim (Norvège). Les différences mesurées sont significatives, que ce soit chez les poussins de 24 jours ou chez les immatures : le poids est inférieur d'au moins 10% ( sauf chez les poussins femelles), la longueur de l'aile de plus de 15% chez les pulli et de 5-6% chez les immatures, la longueur du tarse de plus de 10% chez les poussins et 7% chez les immatures. On peut donc penser à une carence pendant l'élevage au nid qui provoque une croissance plus lente et plus faible . Il faut cependant signaler que Richner (1989) , qui a observé une différence de même ordre de grandeur entre jeunes "urbains" et "campagnards" autour de Lausanne, n'a pas noté d'individus leuciques (alors que depuis il en a été observé dans cette région). Quelle carence supplémentaire peut provoquer ce leucisme ?


Il faut remarquer aussi que Slagsvolg ne trouve pas de différence entre adultes "blancs" et "noirs". Cela peut indiquer que ces adultes sont devenus blancs secondairement ou que seuls les plus gros ont survécu.

Dépigmentations expérimentales

© Ph B.Segerer
© Ph B.Segerer
Riddle (1908) a fait respirer du nitrite d'amyle (puissant vasodilatateur constituant les poppers très consommés dans les boîtes de nuit des années 80 ! ) à des pigeons qui, après avoir "chanté comme pour montrer leur contentement " (sic), ont montré des "fault-bars", ce que Riddle interprète comme la preuve de l'importance de la baisse de pression sanguine dans l'apparition de ces barres.

Murphy et King (1987, 1988) ont donné à des Bruants à couronne blanche (Zonotrichia leucophrys gambelii), avant et pendant la mue, soit une nourriture privée d'acides aminés soufrés soit une nourriture équilibrée mais en quantité insuffisante. La carence en acides aminés soufrés se traduit par des malformations importantes des plumes (rachis courbé en particulier) mais pas de dépigmentation. La nourriture en quantité insuffisante produit une dépigmentation sur les plumes, la disparition de barbules et un rallongement de la période de mue .

Groody (1942) donnent une nourriture sans vitamine, supplémentée par les principales vitamines sauf l'acide pantothénique (vitamine B5) à des poussins de poules Black Minorca. Cela provoque aussi une dépigmentation et une diminution des barbules. Il observe de plus des granules de mélanine plus petits et moins nombreux.

Hill et al. (1961) , en étudiant l'effet d'une carence en cuivre sur les globules rouges de poules, ont remarqué qu'elle provoquait aussi une dépigmentation générale des plumes.

Fritz et al. (1946) et Klain et al. (1956) ont étudié l'effet, sur la pigmentation de dindonneaux et de poulets, de régimes carencés en lysine, acide aminé indispensable. Dans les deux cas, la carence se traduit par une croissance générale nettement plus faible et la présence de plumes blanches ou de barres alaires blanches semblables à celles observées (en général, ce sont les ailes qui sont touchées, parfois la queue, de manière symétrique). Le rajout de lysine fait reprendre du poids et empêche l'apparition de dépigmentation. Klain et al. ont remarqué un déficit important de l'activité (mais pas forcément de la quantité) de la tyrosinase, enzyme responsable de la fabrication de la mélanine, dans les plumes des oiseaux carencés en lysine. Notons cependant que chez Fritz et al. , il y a des cas d'oiseaux carencés en lysine à très faible poids mais sans bande blanche. De plus, les dindonneaux "à bandes blanches" retrouvent une coloration normale vers l'âge de 10 semaines, sans qu'on leur donne de la lysine en plus !

Discussion


Dans ces causes expérimentales, quelle(s) peu(ven)t être le(s) responsable(s) du phénomène observé chez les corneilles ?

Le nitrite d'amyle n'était utilisé que pour étayer une théorie sur le phénomène au niveau physiologique (une baisse de pression sanguine provoquant un déficit d'apport en nutriments à la papille dermique) et il ne peut être mis en cause dans la nature (à moins de supposer des moeurs curieuses chez les corneilles! ).

Un déficit quantitatif semble difficile à admettre en ville ou en milieu suburbain, où les oiseaux ne semblent pas manquer de nourriture. Cependant, ce peut être la cause de cas de jeunes mal nourris au nid par des parents incapables de les nourrir correctement ou des jeunes tombés du nid insuffisamment nourris par leurs "sauveurs" (MB) .
Le cuivre, métal essentiel pour le fonctionnement de la tyrosinase, semble plutôt augmenter, comme d'autres métaux lourds, dans les milieux anthropisés. Une carence est difficile à imaginer !
La vitamine B5 est sans doute fondamentale pour tout le métabolisme énergétique (elle entre dans la composition du coenzyme A nécessaire au cycle de Krebs), mais elle est répandue dans toute une série d'aliments et aucun cas de carence n'a pu être démontré chez l'Homme. A moins d'un problème d'absorption consécutif à une maladie ou une mutation ? La carence en lysine semble beaucoup plus probablement la cause recherchée et qui expliquerait le mieux certains aspects curieux de la distribution dans le temps, l'espace et la systématique de notre phénomène : elle est beaucoup moins fréquente dans les farines de blé (et donc le pain) et de maïs que dans la nourriture animale (2,4 et 2% contre 7,2 à 8,9 % de la part protéique d'après les données exposées dans l'Encyclopedia Universalis t. XV : 286, édition 1988 ).


Précisons d'abord que la Corneille noire est un oiseau qui vit à l'origine en milieu varié mêlant prairies, bosquets, lisière de forêts puis qui s'est adapté aux milieux anthropisés : son arrivée dans les grandes villes n'est pas très ancienne. Son régime alimentaire "normal" comprend une forte proportion d'aliments végétaux sauf au printemps (pour les adultes comme pour les poussins) où la nourriture animale (gros insectes, petits vertébrés) devient prépondérante (57% en avril, mai, juin d'après Madon 1928 ).
Pour expliquer la présence de proportions importantes de "bigarrées" en ville, il suffit de remarquer la part importante du pain, et plus généralement de la nourriture végétale, dans l'alimentation des corneilles urbaines, spécialement dans les parcs urbains. Pour expliquer la présence (bien que plus rare) de tels oiseaux dans les grandes régions agricoles et une augmentation probable dans les dernières décennies, il suffit de suivre la progression de la monoculture céréalière. La limite de répartition observée en France peut être mise en parallèle avec cette monoculture, plus répandue au nord qu'au sud de cette limite. Même la fréquence beaucoup plus faible d'oiseaux touchés observée chez les Corbeaux Freux Corvus frugilegus et les Choucas des tours Corvus monedula peut s'expliquer si on compare leurs régime alimentaire. Ces Corvidés consomment naturellement plus de végétaux (céréales en particulier) que la Corneille : 80 à 100% des gésiers étudiés de mars à juin par Yom-Tov (1975) en contenaient contre 13 à 50% pour la Corneille noire chez Madon (1928) . Cela peut indiquer que leurs besoins en lysine sont plus faibles ou complétés par d'autres sources, ce qui les rendraient moins sensibles à l'anthropisation.
Cependant cette hypothèse n'explique pas tout, et en particulier pourquoi une baisse de poids similaire (10-15%) s'accompagne d'une dépigmentation des jeunes à l'envol chez Slagsvold et pas chez Richner . D'autre part, la diminution des "blancs" pendant l'hiver s'explique-t-elle par une mortalité supplémentaire (probable puisqu'ils sont plus petits) ou une repigmentation ultérieure comme chez les dindonneaux de Fritz ? Des captures régulières permettraient de trancher entre les deux hypothèses : si la proportion de "blancs" diminue plus vite que celle des "petits", cela indiquerait une repigmentation de certains oiseaux en dehors des mues.


- pourquoi certains oiseaux sont-ils tellement marqués de blanc ( plus qu'indiqué dans les publications anciennes ) ?
- comment expliquer la persistance de taches blanches chez certains individus pendant plusieurs années (par exemple, un individu suivi pendant six ans par FB)


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