Dans l'histoire de la peinture, ils sont présents dans tous les tableaux de champs de batailles et dans tous ceux de paysages désolés d'hiver. Ils symbolisent la tristesse et le malheur. Suprême opprobre, ils ont même donné leur nom aux dénonciateurs anonymes.
© René DumoulinDe robe noir jais, croassant fort, souvent en très grand nombre et volontiers charognards, il n'est guère étonnant que du temps où la superstition remplaçait la science, ils aient reçu une telle charge symbolique, mais totalement injustifiée. En cela, ils ont connu le sort de bien d'autres animaux : chouettes effraies, chauves-souris, crapauds, couleuvres et bien sûr le loup.
En réalité pourtant, les corbeaux ont des comportements qui sont ou étaient considérés comme des vertus par les hommes : fidélité, courage, prudence, intelligence et sociabilité. Les couples restent unis pour la vie. Ces oiseaux n'hésitent pas à houspiller les rapaces, dont leurs prédateurs, l'Autour des palombes, le Faucon pèlerin et le hibou grand duc. Le plus grand rapace d'Europe, le Pygargue à queue blanche, hivernant sur les étangs du Saulnois ne les impressionne pas non plus. Bravant le danger sur les routes pour se nourrir des animaux écrasés, jamais ils ne se font happer ; de même que s'aventurant jusqu'au milieu de nos jardins urbains, ils déguerpissent au premier mouvement de porte ou de fenêtre.
Par corbeaux, on entend communément dans nos régions, trois espèces très différentes. La Corneille noire, le Corbeau freux et accessoirement le Choucas des tours. La Corneille noire est parmi ces espèces familières, la plus grande. Elle est entièrement noire, yeux et bec compris. Celui-ci est puissant avec une mandibule supérieure bombée et recouverte à la base de plumes. Le Corbeau freux, noir également, a cependant le bec en partie gris, apparaissant plus long car dégarni de plumes à sa base, ce qui fait paraître une zone de peau nue blanc-grisâtre. Autres signes distinctifs par rapport à la corneille, le front plat et le crâne pointu ainsi que le plumage du ventre recouvrant le haut des pattes comme un genre de bermuda trop large. Le Choucas des tours se démarque nettement de ses cousins. Plus petit, il a la nuque gris clair et l'iris gris pâle, très visible dans le masque noir.
© Jean CharennatTous les trois ont en commun d'être d'excellents voiliers, capables de toutes les figures de haute-voltige, le plus acrobate étant le Choucas des tours. Celui-ci a adopté les édifices de nos villes où il a trouvé, pour nicher, l'équivalent des falaises naturelles, son milieu d'origine ; il y trouve également une pitance de déchets plus abondante, alors que les campagnes sont largement expurgées des insectes et micro-mammifères par les traitements chimiques.
Le principal atout, commun à ces trois espèces, est précisément d'être largement omnivores : graines de céréales, baies, fruits. légumes, mollusques, lombrics, insectes à tout stade, oeufs, oisillons, grenouilles, petits mammifères, charognes et détritus divers. Le Corbeau freux a une prédilection pour les graines perdues après la moisson ou en germination d'automne. A ce dernier titre, on le qualifie volontiers de nuisible. C'était vrai dans les siècles passés où les rendements étaient très faibles et les pénuries fréquentes. Aujourd'hui leur prétendue nuisance n'empêche en aucun cas de produire à hauts rendements, des céréales en surabondance.
© René DumoulinParmi ces trois espèces, tous les oiseaux nicheurs dans notre région, y sont sédentaires toute l'année. Les importantes fluctuations de population de corneilles noires et de corbeaux freux entre l'été et l'hiver sont dues à l'arrivée massive en mauvaise saison des congénères ayant fui les rigueurs climatiques de l'Europe du Nord.
En hiver, leur plus grand nombre, leur errance à la recherche de nourriture, ainsi que le dépouillement de la nature, rend leurs évolutions plus spectaculaires, voire impressionnantes. Avec les étourneaux, ils représentent la seule manifestation de vie dans nos vastes et monotones espaces agricoles.
Même pendant la belle saison, les corbeaux freux et les Choucas des tours, souvent associés aux premiers, sont toujours en bandes plus ou moins abondantes alors que les corneilles noires se déplacent à cette période seules ou en couple. En recherche de pitance, la Corneille noire et le Choucas des tours sont à tendance urbaine plus marquée que le Corbeau freux plus franchement rural, même si ce dernier s'installe volontiers en dortoirs importants dans les grands arbres à proximité des cités. Ceci, au grand dam des riverains agacés par leurs croassements, alors qu'en matière de bruit, ils sont largement supplantés par les deux-roues aux pots d'échappement bricolés qui sillonnent nos rues.
© Christian KerihuelToutes ces espèces sont constituées d' oiseaux intelligents. Bien des observations le prouvent et notamment celle qui permet de voir des corbeaux ayant chapardé des noix, les laisser choir de haut sur une surface de rocher ou de béton pour en briser la coque.
Se fiant à la fable de La Fontaine, il serait donc assurément hasardeux de miser sur le vainqueur présumé d'une confrontation d'astuce et de ruse entre le corbeau et le renard. Pour toutes ces raisons, les corbeaux, au contraire de bien d'autres espèces dont le déclin est déjà fort avancé, ont les meilleures chances de pouvoir s'adapter à un environnement en mutation profonde. Rien que pour cela, ils méritent bien la paix des braves.