Le mois d'octobre représente une période majeure dans le grand chambardement que constitue la migration automnale des oiseaux. C'est un phénomène stupéfiant.
Rousserolle effarvatte
© Philippe PulceSongez que la Rousserolle effarvatte, par exemple, se rend en Afrique tropicale franchissant ainsi plus de 5000 km entre la Lorraine où elle a niché et ses quartiers d'hiver. Pesant au départ -alors munie de ses réserves de graisses accumulées- jusqu'à 18 gr, son poids s'est réduit d'un tiers à l'arrivée.
C'est un oiseau migrateur au long cours comme le Martinet noir, le Rouge-queue à front blanc, le Pouillot fitis etc. qui traversent la France, l'Espagne, le Détroit de Gibraltar, l'Algérie et le Sahara au prix de lourdes pertes au cours d'un voyage qui aura duré près de deux mois.
D'autres espèces comme le Héron cendré, l'Alouette des champs, le Rouge-gorge, le Pouillot véloce, le Pipit spioncelle etc. sont des migrateurs partiels, leurs déplacements se limitant à quelques dizaines ou centaines de km, les uns soit pour descendre de la montagne en plaine, les autres soit pour rejoindre les régions du littoral méditerranéen.
Jaseur boréal
© Jules FouargePuis, les hivernants venus du Nord de l'Europe ou de la Sibérie viennent stationner dans nos régions à la fin de l'automne ou au début de l'hiver. Ce sont de nombreuses espèces d'oies et de canards, ainsi que quelques espèces de passereaux comme les grives, les Tarins des aulnes et les Pinsons du Nord et éventuellement par grands coups de froid, des bandes de Jaseurs boréals.
Enfin les oiseaux de passage sont ceux qui ne font que traverser notre région en effectuant de courtes haltes pour reconstituer leurs réserves énergétiques servant de carburant.
Vol de grues cendrées © Anne-Laure DelhorbeVenant de Scandinavie et d'Europe centrale, ils se rendent en Espagne et en Afrique. Tel est le cas de nombreux petits échassiers de rivage (chevaliers, bécasseaux) et aussi de la Grue cendrée dont les formations en V traversant bruyamment de leurs krrou-kru sonores le ciel messin pour faire étape en novembre dans la Woëvre et surtout au Lac du Der.
Tous ces mouvements migratoires sont directement et étroitement conditionnés par la disponibilité des ressources alimentaires, elles-mêmes liées aux variations climatiques saisonnières ainsi qu'à l'alternance de la longueur du jour d'une latitude à l'autre. La plupart des oiseaux essentiellement insectivores, nicheurs dans notre région, la quittent lorsque leur nourriture se fait rare : fauvettes, pouillots, gobe-mouches, rossignols. La Bondrée apivore, spécialisée à l'extrême en ne consommant que des larves de guêpes et d'abeilles sauvages, est obligée de partir dès la fin août. Les granivores et à plus forte raison les omnivores, au contraire, savent trouver en toute saison des graines diverses que leur bec conique et fort permet de broyer : pinsons, chardonnerets, bouvreuils, gros-becs. Ils peuvent rester parmi nous et vagabonder dans la région.
Beaucoup d'oiseaux migrateurs dont les couples, dans la plupart des cas, revendiquent pourtant un territoire exclusif pendant la nidification se regroupent pour voyager. C'est ainsi que nous pouvons observer en automne des compagnies quelques fois considérables de passereaux et de rapaces (notamment des milans noirs) traverser nos espaces, les uns volant de bosquet en bosquet, les autres planant en altitude.
Carnard pilet @ Alban CordobaLa recherche d'une plus grande sécurité et d'une meilleure orientation constitue un des facteurs déterminants de cette sociabilité de circonstance, l'union faisant la force ! A plusieurs on voit mieux et pendant que les uns se nourrissent, d'autres peuvent monter la garde, cas des sarcelles par exemple.
Orientation, voici le maître mot de cette grande affaire qui concerne des millions d'oiseaux d'une multitude d'espèces. C'est un sujet complexe où depuis quelques décennies les connaissances ont considérablement progressé grâce à des opérations de baguage plus systématiques, aux radars, à la thermographie aérienne, à la télémétrie etc. mais c'est une matière où bien des questions n'ont encore pour réponses que des hypothèses.
Mouette de Sabine @ Yvon ToupinLes facteurs météorologiques jouent un rôle très important dans le déroulement normal ou perturbé, voire accidentel des migrations. Des tempêtes d'automne peuvent être pour des oiseaux à l'origine de dérives accidentelles par rapport à leur trajectoire migratrice normale très éloignée de nos régions. C'est bien l'occasion d'observations rares pour nous : Labbes parasites migrant normalement le long des côtes de la Mer du Nord, Chevaliers stagnatiles faisant habituellement route par les Balkans et l'Italie du Sud ; une Mouette sabine, oiseau de mer qui venant du Groenland et migrant normalement très au large dans l'Atlantique a échouée accidentellement sur l'étang de Parroy près de Lunéville.
En tout état de cause, l'automne est pour l'observation des oiseaux un temps fastueux. C'est bien le cas en Lorraine située sur l'axe migratoire principal entre d'une part les pays scandinaves ainsi que ceux de l'Europe Centrale et d'autre part l'Europe du Sud ou l'Afrique. Par temps sans brouillard tenace ou pluie battante, on peut voir du bord de nos nombreux étangs ou des points dominants des côtes de la Moselle ainsi que des cols vosgiens, des haltes ou passages de groupes spectaculaires d'oiseaux dont l'identification, quand il s'agit de petits passereaux en vol, est souvent difficile.
Mais est-il toujours indispensable de connaître le nom des acteurs pour apprécier un spectacle impressionnant ?