En Lorraine, novembre est le mois des grues cendrées. Elles n'y sont que de passage, en migration vers leurs quartiers d'hiver en Espagne et en Afrique du Nord, mais quel événement spectaculaire et retentissant !
De jour et de nuit, leurs formations en V de dizaines d'individus survolent par vagues successives nos campagnes et nos agglomérations en claironnant continuellement leurs cris de contact "krrrrou-gru" puissant et audible de loin. Il arrive que , fenêtre ouverte, l'on soit tiré du sommeil par leur concert de voix tonitruantes .
L'impression de masse et d'abondance qu'elles peuvent donner en traversant notre région est imputable au fait que toutes les grues ayant niché en Scandinavie et une grande partie de celles ayant estivé dans les pays Baltes, la Pologne et la Russie, suivent un couloir migratoire large de 200 à 300 km, qui inclut notamment le Luxembourg, les départements de la Moselle, de la Meurthe et Moselle et de la Meuse. Il les conduit par grandes étapes, suivant un axe quasi-rectiligne, du Mecklembourg où elles se rassemblent jusque dans le Sud de l'Espagne en traversant la France en diagonale et les Pyrénées.
Au cours de ce voyage, elles font obligatoirement des haltes plus ou moins durables pour se reposer et s'alimenter. Bon an mal an, elles s'arrêtent aux mêmes endroits. Des petits groupes dans les champs et pâtures autour des étangs du Saulnois et des rassemblements par milliers dans des prairies du Nord-Meusien.
La plus grande concentration, atteignant plusieurs dizaines de milliers d'individus, a lieu pendant plusieurs jours, voire semaines, autour et sur les îlots du lac du Der-Chantecoq en Marne.
C'est à terre, au repos ou au gagnage, que la Grue cendrée révèle toute sa noble beauté. Sa teinte d'ensemble est gris-ardoise, avec une bande blanche sur le coté de la tête et du cou, contrastant avec la face et la gorge noire.. De loin sa calotte rouge n'est pas toujours visible.
D'une taille nettement plus élevée que celle de tous les autres échassiers d'Europe, avec de très grandes pattes et un long cou étroit, elle possède la particularité d'être parée d'une queue touffue en forme de panache. Cet ornement ostentatoire de même que sa démarche lente et presque martiale, ainsi que son port altier, lui donnent une allure à la fois majestueuse et élégante.. Courbée vers le sol, au gagnage dans les champs, elles donnent plutôt l'impression d'une escapade bucolique de douairières en goguette.
C'est pourtant à ces moments qu'elles sont le plus assidûment occupées à recueillir leur nourriture éclectique, mais à prépondérance végétale : graines de céréales glanées sur les éteules ou sur les emblavures, herbes, trèfle et autre légumineuses, mais aussi insectes, larves, chenilles, limaces ainsi que campagnols, musaraignes et grenouilles.. La partie végétale, notamment les graines de céréales, leur est indispensable pour leur fournir les réserves de calories suffisantes en vue de soutenir leurs longs déplacements à plus de 60 km/heure en vol battu, extrêmement consommateur d'énergie, au contraire du vol à voile qu'elles n'utilisent qu'occasionnellement pour profiter d'une ascendance thermique, ce qui est de règle pour les cigognes que effectuent leur déplacements comme un planeur.
Les sites fréquentés par les grues en été pour la nidification, ceux utilisés pendant leurs étapes migratoires et enfin ceux pratiqués pendant leur hivernage sont très différents, tant du point de vue du climat, des biotopes et des ressources alimentaires. Entre les clairières de la taïga scandinave et de la dehesa de l'Extremadura en Espagne, il n'y aucune comparaison : rhizomes de roseaux et baies d'airelles d'un coté, glands de chênes et olives de l'autre. Ils répondent cependant tous à des exigences communes : des endroits ouverts et dégagées qui permettent un bonne distance de fuite à ces oiseaux très farouches, la proximité de l'eau sous forme d'étangs peu profonds, de zones inondées et de marais. Elles y trouvent la nourriture et la sécurité contre leur principal prédateur, le renard, en dormant debout dans l'eau peu profonde ou sur des îlots.
De même "autres cieux, autres moeurs" Autant les grues cendrées, comme bien d'autres espèces d'oiseaux, petits et grands, se rassemblent en grands groupes pendant la migration et l'hivernage, autant pendant la nidification, les couples ( d'une fidélité à toute épreuve ) revendiquent sans partage un territoire bien à eux. C'est la surprise pour un voyageur, lorrain par exemple, qui traverse le Nord suédois ou finlandais, de ne pouvoir observer que des couples isolés et très espacés de Grues cendrées, alors qu'il s 'attendait à d'impressionnants rassemblements.
Au demeurant le spectacle que nous offrent dans notre région les Grues cendrées en migration procure tous les ans un enchantement renouvelé. Leurs cris claironnants produisent un concert étrange et joyeux dans la nature silencieuse de novembre. Soyons leur gré. En allant à leur rencontre, respectons à distance, par l'utilisation de jumelles, le besoin de sécurité de ces grands et magnifiques oiseaux.