Visiteurs hivernaux

© René Dumoulin
Les Harles bièvres viennent tous les ans en petits groupes séjourner sur nos étangs lorrains pendant la mauvaise saison. Ces palmipèdes, à l'aspect proche des Canards colverts, sont farouches, mais les mâles sont faciles à déceler et à identifier grâce à leur plumage où, vu à distance, le blanc domine.

De ce fait les mâles ne peuvent être confondus avec aucune autre espèce d'anatidés. Observés de plus près ou à l'aide d'une longue-vue, on peut noter aussi la tête et le haut du cou d'un noir vert brillant ainsi que le bec rouge, mince, effilé, aux mandibules dentelées et terminé par un crochet acéré. Ce bec suggère d'emblée la grande aptitude de ces oiseaux à harponner et retenir des poissons.

Les harles sont bien des piscivores caractéristiques comme nos communs Grèbes huppés. Ils ont d'ailleurs des comportements très semblables à ces derniers. Comme eux, ils pêchent en plongeant. Ainsi, basculant en avant, ils disparaissent sous l'eau jusqu' à trente secondes pour émerger bien plus loin, après s'être éventuellement enfoncé à plus de 5 m. Toutes sortes de poisson sont au menu qui est fonction des ressources du milieu alors fréquenté : lacs, rivières, estuaires. Le plus souvent les poissons attrapés mesurent moins de 10 cm. A l'occasion, des insectes, larves, crustacés et grenouilles fournissent un complément.

Sur les étangs et les lacs de Lorraine et de Champagne Ardennes, ces oiseaux ne sont présents, de façon d'ailleurs peu abondante, qu'en fin d'automne et en hiver. En mars, ces hivernants quittent ces régions. Il n'en est pas tout à fait ainsi en Alsace où une petite population se reproduit tous les ans sur les rives du Rhin. C'est aussi le cas en Franche - Comté et Rhône-Alpes, en particulier du Lac Léman, de lacs d'Annecy et du Bourget. Le nombre des couples nidifiant en France a été estimé à 300-500 dans la période 2009-2012.

Cependant, la principale aire de reproduction en Europe de cette espèce comprend les régions baltes, l'Islande, l'Ecosse, la Scandinavie et la Russie boréale. Les plus fortes présences estivales s'observent en Finlande, Suède et Norvège. Dispersés en couples pendant cette période sur de grands espaces, ces canards se regroupent à l'arrivée des froids. En majorité, ils prennent leurs quartiers d'hiver dans des régions et pays au climat plus tempéré : les côtes occidentales des pays scandinaves, l'Allemagne du Nord, le Danemark, les Pays -Bas…. Il est des populations de l'Est de la Russie qui hivernent près de côtes septentrionales de la Mer noire et dans le Nord de la Mer Caspienne.

Partout, hiver et été, les Harles bièvres affectionnent les eaux claires et poissonneuses, de préférences douces. Ils tolèrent bien les eaux saumâtres, mais guère celle de mer en raison de sa forte salinité. Dans leurs bastions estivaux, ces oiseaux choisissent des plans d'eaux bordés de bois, de bosquets avec de gros et vieux arbres dont les spacieuses cavités leurs servent de nichoirs. En l'absence de ces spécimens à proximité de l'eau, ils n'hésitent pas à les chercher assez loin de leurs lieux de cantonnement.

C'est une des bizarreries de la nature que ces oiseaux d'eau piscicoles nichent de préférence dans des creux d'arbres et ce, jusqu'à une hauteur de plus de 10 m ! A défaut, un trou dans une falaise, une muraille, sous des racines ou un terrier peuvent faire l'affaire. Ces grands palmipèdes adoptent même très volontiers les nichoirs bien adaptés que dans certains pays on met à leur disposition.

L'orifice de la cavité servant de nid doit mesurer au moins 12cm de diamètre. Le creux lui-même doit être large de 23-28 cm et profond de 50-60 cm. Vu l'industrialisation massive des exploitations forestières, il est de plus en plus difficiles aux harles de trouver de loges de cette taille, même si un grand choix d'essences d'arbres leur convient. Cette rareté est un facteur très négatif quant au maintien des populations de cette espèce en maints endroits.

Les nids étant en général placés à plusieurs mètres en hauteur, pour le quitter, les oisillons encore incapables de voler sont obligés de se jeter dans le vide. Leurs moignons d'ailes ne les aident guère à ralentir la chute qui s'effectue pourtant sans dommage dans la plupart des cas, la végétation au sol servant d'amortisseurs à ces petits encore très légers.

En Lorraine, nous n'avons pas l'occasion d'assister à ces spectacles insolites. En contrepartie, il peut nous être donné d'observer vers la fin de l'hiver le début des parades nuptiales. Les mâles tout excités autour d'une femelle hérissent les plumes de la tête, trempent le bec dans l'eau en gloussant avant d'agiter leur cou replié qui est tendu tout à coup presque à la verticale, bec pointé vers le ciel. Les femelles réceptives se manifestent alors par des caquètements rocailleux.

Il ne faut pas renoncer à observer ces grands et attractifs canards, certes peu nombreux dans notre région en hiver, mais présents tous les ans sur certains de nos étangs, en particulier sur ceux du Domaine de Lindre où le 16.12 déjà 64 individus ont été dénombrés.

Créé le 13/01/2016 par Gilbert Blaising © 1996-2024 Oiseaux.net