Un estivant qui nous est cher
Parmi les trois espèces de gravelots qu’il nous est donné d’observer en France, le Petit Gravelot est sans doute le plus attachant.
Avec un poids moyen de l’ordre 40 grammes, c’est l’un de nos plus petits limicoles.
Il passe l’hiver en Afrique et descend jusqu’en Tanzanie, ce qui le contraint à traverser le terrible Sahara.
Ces quelques 2000 kilomètres de désert le conduisent à constituer d’importantes réserves de graisse avant son départ.
C’est donc ce que l’on peut appeler un migrateur « sur capital », à la différence d’autres porteurs de plumes qui, tels la sarcelle d’hiver, privilégient les étapes et sont donc des « migrateurs sur intérêts ».
Afin d’économiser l’énergie, il vole de nuit, profitant de températures plus fraiches.
Il semble établi par les recherches qu’il n’accomplit pas cette périlleuse traversée sans escales, se reposant le jour à l’ombre qu’il peut découvrir.
Son identification est aisée, à l’âge adulte, grâce au joli cercle orbital jaune qui le caractérise. Il en va différemment lorsqu’il s’agit d’oiseaux immatures.
Environ 7000 couples se reproduisent en France, à peu près équitablement répartis sur l’ensemble du territoire.
Ils sont présents sur 88 départements, en tête desquels, la Nièvre (700-800 couples), la Gironde (150-300 couples) et le Loiret (155-205 couples).
Malgré les menaces qui pèsent sur ses milieux de prédilection, l’espèce est considérée comme stable, voire en progression.
Quand les gravelots convolent
Dès la mi-mars, les premiers oiseaux arrivent sur leur territoire et se cantonnent.
On ne peut manquer ces petits pluviers courant si vite sur le sol, le corps à l’horizontale, et marquant de fréquents arrêts en hochant nerveusement la tête.
Leurs cris suffisent à alerter l’observateur. Surtout pendant la période nuptiale, le mâle en est prodigue et survole son territoire en proférant d’énergiques cris répétitifs.
Bien vite, il entame des ébauches de nid, déployant généreusement ses rectrices.
Il tente ainsi d’attirer une femelle qui décidera de l’emplacement et construira le nid, limité à une petite cuvette assez peu meublée.
Les parades se succèdent, et Monsieur renouvelle ses demandes en mariage, bombant le torse et levant haut la patte, jusqu’à ce que son charme opère.
L’accouplement s’ensuit du moins jusqu’à la ponte du premier œuf car, ensuite, Madame repoussera ses avances.
L’appariement dure souvent jusqu’à une quinzaine de secondes et se termine immanquablement par un joli battement d’ailes.
Les 4 œufs sont déposés à raison d’un par jour et sont difficiles à voir, même de près, tant ils ressemblent à de petits cailloux.
Ils vont être couvés pendant 25 jours (parfois 24) alternativement par les deux parents.
Ces semaines offrent au visiteur le grand plaisir d’assister aux relais qui se produisent régulièrement, à des intervalles variant d’un quart d’heure à une heure.
Lorsque c’est la femelle qui vient assurer le quart, son conjoint, bien élevé, lui ouvre une sorte d’ombrelle qu’elle parait apprécier.
Il y aura aussi des scènes de toilettage, des courses et des chants.
La vie est vraiment belle au pays des gravelots.
Il est d’autres attitudes aussi comme ce regard oblique dirigé vers les nuages, commun à de nombreux oiseaux qui savent bien que, dans la vie naturelle, le danger vient très souvent du ciel.
Et puis, bien entendu, Madame sur ses œufs…
Quel beau spectacle !
Naissances et apprentissage
Aussi merveilleux soit-il, il n’est que le prélude à d’autres circonstances encore plus émouvantes.
Les petits nidifuges éclosent un jour.
Ce sont de petits bouchons blancs aux pattes démesurées.
Rapide est un mot très faible quand on parle de leurs déplacements.
Si jeunes et si véloces dirait le Pouillot !
Ce sont encore trois semaines (entre 25 et 27 jours) de bonheur pour leurs amis.
Leurs courses folles inquiètent les parents qui les appellent sans relâche.
Ils n’hésitent pas un instant à poursuivre les intrus, jusqu’à la bien paisible bergeronnette qui niche à leur côté, et ne reculent pas d’avantage devant leur autre voisine, la belliqueuse échasse.
Ces petits sont très indisciplinés, mais connaissent cependant les limites de la déraison.
A bout de souffle, ils s’empressent de se réfugier sous l’aile accueillante du parent, le plus souvent celle de la mère, et alimentent la douce fable du gravelot à huit pattes.
Quelques jours, encore, et ce sera l’indépendance, l’envol.
Dès la fin juin, les premiers adultes, certains d’avoir bien fait leur devoir, reprendront leur chemin d’hiver ; nous aurons en juillet, la visite d’oiseaux plus septentrionaux avant que les jeunes ne se mettent en route à leur tour au mois d’août.
A la fin septembre, en octobre au plus tard, tous seront partis affronter la mer et le désert.
Seuls quelques oiseaux (2 à 7 par an) hivernent en France, à titre exceptionnel.
Nul ne les oubliera et nous applaudirons ensemble à l’extrême performance d’un si petit oiseau, en priant pour que la valse des saisons nous le ramène bientôt.