C’est de lui que Paul Géroudet disait qu'avec ses courtes pattes, sa queue, à peine ébauchée, sa grosse tête, il eût été un "nain difforme" sans l'éclat de son merveilleux plumage. Cet oiseau est fidèle; il ne nous quitte guère quand le temps se gâte. Martin-pêcheur ! La flèche bleue, le joyau de nos rivières. Il est cavernicole, à l'instar de ses jolis cousins, les guêpiers. La mi-juin salue l'indépendance de ses premiers enfants. Il lui faut des berges, ou des falaises, proches de l'eau.
Dès le début avril, il pond dans sa galerie ses 6 ou 7 Sufs blancs. Trois semaines plus tard, les enfants percent leur coquille.Presque un mois (entre 23 et 27 jours) leur sera nécessaire pour faire le grand bon vers la vie. Miracle de la nature ! Une heure plus tard, ils sont capables de capturer leurs premières proies. La sollicitude des parents leur laisse encore 3 ou 4 jours d'entraînement. Et puis…place aux jeunes, c'est-à-dire à la seconde couvée. A mi-juin, ce sont de beaux adolescents, autonomes par force, et tout à fait indépendants. On peut les distinguer des adultes assez aisément. La pointe du bec reste blanche.La tonalité du plumage est plus verte que celle de l'adulte, plus franchement bleue. Les pattes aussi, fournissent un indice : non encore clairement orangées, elles présentent une surface encore teintée de gris. Plus facile à repérer, peut-être, la poitrine. L'orange vif, connu chez les parents, est constellé, encore, de petites marbrures grisâtres.
Pêcheur émérite
Maitre Martin est le roi de l'affût. Une branche, un poteau, parfois même le bord d'un bateau, tous les postes lui sont bons, pour peu qu'ils surplombent une eau claire, pas trop rapide, et…poissonneuse. Attentif, il scrute l'eau, et change de position. De temps à autre, il ouvre un peu le bec, comme s'il salivait à l'idée du repas qu'il espère. Vigilant, il remarque le moindre mouvement dans son environnement. Que passe un moineau…Aussitôt, il l'observe. Le bec vers le ciel. Il est patient, aussi. Il prend parfois le temps de lisser son plumage, de faire quelques étirements. Les jeunes poissons ont sa préférence : vairons, loches, goujons, ablettes, chabots. Parfois un alevin de truite. Leur taille n'excède pas, en général, les 7 centimètres. Gare aux trop gros spécimens, ils pourraient l'étouffer. Si d'aventure il en prend un, il ne le consomme pas. Sérieux et avisé, notre Martin. La position rectifiée, et la proie repérée, il plonge en piqué, telle une flèche, donne de violents coups d'ailes et pénètre dans l'eau, parfois jusqu'à un mètre. Les ailes serrées sur le corps, les yeux ouverts, il est sur le poisson. Las ! Il subit des échecs. Mais, nullement découragé, il reprend sa veille, et, après un nouveau plongeon, ressort cette fois de l'eau, tout ruisselant, un petit poisson blanc dans le bec. Bien vite, il le frappe énergiquement sur sa branche pour l'estourbir. Puis il le met en place, sa tête la première, et l'engloutit sans tarder. Deux, trois mouvements des mandibules, et le poisson a rejoint son estomac.
Le regard vers les cieux
C'est une posture très courante chez Martin. Moins, sans doute, que l'attitude qu'il prend pour l'affût, mais tout de même… Il l'utilise, avec quelques adaptations, lors des parades nuptiales. Le plus souvent, elle témoigne de sa curiosité, de sa vigilance aussi. Il écoute, il observe, s'interroge. Trois guêpiers le survolent, avec force chants… Aussitôt, il tend l'oreille et le bec, le regard orienté vers les nuées. Le passage d'un moineau suffit à déclencher le même réflexe. Lui qui craint le gel mais n'a pas peur de l'eau, prend encore cette position quand tombe la pluie. Alors… Curiosité, prudence, ou simple pragmatisme ? Son regard, peut-être, pourra nous mettre sur la voie. Complétant les scènes de pêche ou d'affût, le traitement du poisson, le toilettage, le regard vers les cieux est, sans conteste, un autre petit bonheur pour ses admirateurs. Lors du nourrissage de ses jeunes, il n'y a pas de régurgitation, comme on l'a cru parfois; il tend le poisson dans le sens inverse, afin que l'héritier puisse l'ingurgiter, lui aussi, la tête la première. Piscivore, s'il en est, Martin ne dédaigne pas d'autres types de proies qu'il choisit parmi les crustacés (de minuscules écrevisses, par exemple), les insectes tels les coléoptères ou bien les libellules. Quand les circonstances s'y prêtent, un têtard ou une minuscule grenouille pourront le régaler.
Les noces de Martin
Ils sont beaux, ses enfants, n'est-ce pas ? Tiens…Ça rappelle le mois de mars. Depuis quelque temps, déjà, Martine l'avait rejoint sur son territoire; où il l'attendait avec impatience. Les deux fiancés se lancent dans des vols au ras de l'eau, et bientôt s’élèvent vers la cime des arbres qu’ils dépassent souvent. Force cris ponctuent ces folles envolées. Accompagné de Martine, Monsieur inspecte, sans plus tarder, les rives et les anciens terriers. Il lui offre un poisson. Avec une courbette, comme le veut l'usage. Imitant les postures et les cris d'un jeune, elle le réclamait, du reste, à sa façon. Ensuite, Martin parade… Bec tendu vers le ciel, étendu, s'étirant vers le haut. Sa taille modeste l'y contraint, et il veut être beau. Les oiseaux se prennent le bec, simulant une querelle. Enfin, elle fait vibrer ses ailes, et s'allonge à l'horizontale sur la branche. Prestement, Martin saute sur son dos, saisissant sa nuque de son bec, et fait son devoir. Il plonge aussitôt, s'ébrouant de bonheur. Le travail n'attend pas ! Chasser l'intrus, d'abord, car la concurrence est sévère. Et puis construire. Volant sur place, il attaque la paroi. Deux mètres au-dessus de la mare, l'endroit est parfait. Le voici engagé dans 10 jours d'efforts. A grand renfort de coups de mandibules, il agrandit l'ébauche de terrier; fouir, et fouir encore… Les déblais sont expulsés à coup de pattes. Plus de 70 centimètres de galerie ! Et puis la chambre du nid : 17 cm de longueur, 16 cm de profondeur et 11 centimètres en hauteur. Exténué, le Martin… Début mai, Martine fait son devoir de mère. Elle dépose, à même le sol, 6 beaux Sufs blancs. Le dernier pondu, les deux époux vont les couver, à tour de rôle, pendant près de trois semaines. Enfin, vient l'éclosion. Nus et aveugles, les petits exigent que leurs parents les couvrent. L'un assure leur protection tandis que l'autre pêche et revient leur offrir de minuscules poissons, toujours présentés la tête la première. Disciplinés, les enfants forment leur carrousel. Chez eux, point de bousculade, contrairement à ce que l’on observe chez ses voisins les Guêpiers. Chacun appuie sa poitrine sur le dos du frère (ou de la sSur) qui le précède. Le plus proche du trou recueille sa pitance, et puis avance d'un cran, faisant place au suivant. La roue tourne, ainsi pas de jaloux. Ils ouvrent les yeux à l'âge de huit jours. Les plumes apparaissent, la croissance bat son plein. A chaque visite, les parents enlèvent les fientes, les restes de poisson, puis prennent un bain, qui n'est pas superflu. Les voici grands, à présent; ils crient et se querellent. Chaque jour, ils s'avancent un peu plus vers la sortie, guettant l’arrivée des nourriciers. Trois semaines après leur naissance, ces derniers les appellent, poisson au bec. Enfin, le premier saute, d'un vol encore emprunté, et s'offre son premier plongeon. Les autres ne tardent pas à suivre, et la famille se retrouve alignée sur une branche voisine. Vous imaginez bien la fierté des parents. Le temps passe tellement vite ! Les semaines s'égrènent. Les premiers enfants sont grands, autonomes. Pour un poisson de plus… Martine a débuté une deuxième ponte. La jeune génération née, il faut chasser les premiers enfants, devenus surnuméraires dans le territoire. Le poisson se fait rare…Tandis que Martin achevait d'éduquer les aînés, Martine couvait déjà. On appelle ceci des couvées imbriquées.
Fragile Martin
Le taux de mortalité est très fort. Peu d’oiseaux dépassent l'âge de 5 ans, et il fréquent, hélas, qu'une classe d'âge disparaisse à 80% avant d'avoir atteint sa première année. La fécondité du Martin pêcheur est bien sa seule arme contre l'adversité. Un couple produit en moyenne de 6 à 9 jeunes qui pourront se reproduire, heureusement, dès l'âge de 9 mois. Voici pourquoi il fait deux couvées, souvent trois, exceptionnellement quatre. Certes, il n’a pas que des amis. Ses propres frères n'hésitent pas, à l'occasion, à détruire ses Sufs pour s'emparer de son logis. Les crues le touchent aussi. Mais ceci n'est rien comparé aux actions malfaisantes de l’homme. Sa folie le conduit à "nettoyer" les rives, quand il ne les bétonne pas. Pourvoyeur de toxiques, il pollue ses proies, et en fait périr en nombre, empoisonnés par la concentration des produits chimiques. Mais ça n'est pas assez, encore ! Comme tous les amateurs de poissons, Le Martin est persécuté par les pisciculteurs. Il n'est pas loin le temps où on le traitait de nuisible. Le fusil ou les pièges… Aujourd’hui, il est enfin protégé. Ce qui n'empêche pas de bien tristes sires de poursuivre leurs méfaits. L’hiver reste toutefois son pire ennemi.Il gèle ses rivières et ses pattes. A chaque fois, c'est fatal. Près de 95% des effectifs peuvent disparaître lors d'un hiver très rude, laissant, par chance, la vie sauve à quelques survivants qui reconstruiront ses familles en quelques années, pour peu que le temps soit plus clément. Les oiseaux de l'est de l'Europe migrent volontiers vers le sud, tandis que les "méridionaux" se montrent volontiers sédentaires. Son ardeur amoureuse, sa fécondité, la ressource migratoire le protègent un peu contre une disparition programmée.