Le Tadorne de Belon est un oiseau singulier, même si l’on parle souvent de lui au pluriel car il est éminemment grégaire.
Bien que nous ne sachions toujours pas d’où provient « Tadorna » d’un point de vue étymologique, il doit son nom à Pierre Belon, un savant du XVIème siècle, dont les exploits de voyageur et de découvreur auraient pu faire avancer la science et nos connaissances bien plus tôt s’il avait été écouté.
Accompagnateur des ambassadeurs dépêchés par François 1er auprès du Grand Turc, il avait visité la méditerranée orientale et l’Asie mineure, un authentique exploit pour l’époque, et avait vu des cailles venir se poser sur son vaisseau.
Même si à son retour ses études en médecine furent laborieuses et lui valurent 10 ans de labeur pour obtenir le titre de médecin, il avait, bien avant les autres compris le phénomène migratoire et ces déplacements annuels qu’il fallut encore deux ou trois siècles à la communauté naturaliste ou scientifique à admettre sous l’impulsion de Buffon.
Aujourd’hui encore nous ne sommes pas spontanément certains de savoir s’il convient de ranger notre Tadorne parmi les canards ou les oies. Sa taille, des ressemblances morphologiques ou des similitudes de mœurs peuvent nous faire hésiter de temps en temps.
Quoiqu’il en soit, une certitude demeure sur son appartenance à l’ordre des Anséridés.
Alors, petite oie ou grand canard, c’est le Tadorne !
A l’instar des oies proprement dites, le dimorphisme sexuel est peu marqué.
Pour les deux sexes, on remarque la tête, apparemment noire, mais en fait pourvue de beaux reflets métalliques verts qui apparaissent quand on peut l’observer d’assez près.
Les pattes sont roses.
C’est un oiseau au plumage contrasté pourvu d’une splendide bande pectorale dans les roux vénitiens, avec le reste du plumage blanc pur, à l’exception des scapulaires assez foncées et des sous-caudales jaunes rousses. Le mâle se distingue par une caroncule aussi rouge que le bec dans son ensemble, tandis que la femelle, qui en est dépourvue, possède, à la chute du front, une petite tache blanche caractéristique.
Ainsi que la plupart des anatidés, le Tadorne perd brutalement toutes ses plumes volières et s’est rendu particulièrement célèbre par sa migration de mue qui, dès juillet, le conduit à mettre le cap au Nord, vers des étendues désertiques donc paisibles comme la mer des Wadden, quasiment inaccessible à l’homme, où il se gave d’un petit gastéropode (hydrobia ulvae) en attendant que ses nouvelles plumes aient poussé. On a dénombré, en cet endroit, des rassemblements pouvant atteindre les 200 000 oiseaux.
Prévoyant, le Tadorne organise alors des crèches, en lesquelles des adultes non nicheurs (ou dont la reproduction a échoué) surveillent les enfants du printemps, sujet sur lequel nous reviendrons.
Il nous reviendra à l’automne, voire à l’entrée de l’hiver, et rejoindra alors les estuaires, les marais d’eau saumâtre, où il se plait davantage que la plupart des canards dont la préférence va à l’eau douce.
Ses couples se forment précisément en hiver et s’unissent pour leur vie entière.
Lors des parades, les mâles s’affrontent en des combats assez violents, très vraisemblablement pour attirer les femelles qui sans y prendre part, confirment leur choix ou bien le modifient car elles ont conservé leur liberté de choisir le mâle qui leur parait le plus fort, et, par conséquent, le plus apte à élever leur progéniture.
Le Tadorne est cavernicole.
Très souvent, il établit son nid dans d’anciens terriers de lapins ou de renards, même s’il reste capable de faire bien d’autres choses.
Dans les réserves de haut standing, entourées d’eau, les terriers viennent souvent à manquer, mais des mains bienfaisantes et agiles disposent en temps opportun ce que l’on appelle des « boites à Tadorne ». Le modèle est breveté.
Dès le mois de mars cette petite oie (ou bien ce grand canard) rejoint ses sites de reproduction.
La femelle, dit-on, choisit l’emplacement du nid, et, après le temps des parades, y dépose chaque matin l’un de ses 8 à 12 œufs bien que certains, bien informés, évoquent le cas de 3 œufs seulement.
L’observation attentive n’apporte rien qui puisse les démentir.
La couvaison est assurée par la Dame seule, son époux se contentant de surveiller les alentours, à toutes fins utiles.
C’est en moyenne 30 jours de labeur avant que le premier né ne perce sa coquille, en attendant, en séchant au soleil, la naissance de ses frères et sœurs.
Nidifuges comme il est usuel dans la gent aquatique, les jeunes Tadornes sont rapidement conduits vers les lieux de nourrissage, souvent assez distants du nid.
Leurs géniteurs veillent au grain et les protègent des prédateurs. Le mâle peut, dans les cas extrêmes, simuler une blessure pour attirer plus loin l’attention dangereuse d’un prédateur.
Ces petites boules de plumes noires et blanches (en vérité il s’agit plutôt de de brun pour les parties sombres) sont adorables et bien plus aptes que leurs parents à plonger, ce qu’ils ne manquent pas de faire au premier signal insistant de leurs géniteurs.
Leur croissance est rapide, et il faut bien admettre qu’ils sont moins séduisants lorsque commence l’adolescence. C’est, pourrions-nous dire, un point commun entre l’homme et l’oiseau.
Entre la crèche et le premier envol, cinquante jours s’écouleront.
L’absence ne sera pas si longue, et s’il faut trouver quelques raisons de patienter, nous pourrions les trouver dans l’extrême variété du registre vocal de notre ami qui passe aisément de cris gutturaux à de doux sifflements.
N’oublions pas, pour entretenir nos rêves et alimenter notre patience que le Tadorne est fier et le montre en bien des occasions.
C’est une fierté légitime.