Janus avait, dit-on, sinon deux têtes, du moins deux visages.
Notre amie bien connue, la Mouette rieuse, a très probablement été inspirée par ce que, chez elle, on pourrait qualifier de bicéphalisme comportemental.
Familière, empreinte de douceur dans les temps ordinaires, elle est aussi courageuse, bonne mère, battante et solidaire.
Lorsque vient, pour elle, le temps des amours, elle construit ses nids à profusion. L’union, chez elle, est fréquente, répétitive et dure assez longtemps pour qu’un photographe même impatient parvienne à immortaliser la scène capitale.
C’est la femelle qui sollicite l’accouplement, par de tendres baisers, insistants et convaincants.
Pourtant, lorsque la saison avance, elle se refuse subitement, ou tente de le faire.
Car son époux n’est pas de ceux qui l’on dissuade aisément.
Elle peut tendre vers lui un regard et surtout un bec rétif, Monsieur ne se décourage pas pour autant et parvient à ses fins, avec, tout juste un léger retard.
La suite de l’histoire appartient au nid que les deux oiseaux entretiennent, renforcent constamment de brindilles. Les relais sont fréquents et le langage bien riche.
Nichant en colonies, la Mouette rieuse devient crieuse.
Elle partage les petits lopins offerts à d’autres comme l’échasse blanche, l’avocette, le Petit Gravelot.
Sa vigueur, son ardeur au combat rassurent l’observateur qui pense, non sans quelques raisons, que sa présence suffira à éloigner les prédateurs comme le fameux milan.
Solidaire, en effet, elle accompagne les vols de ses voisins de couvées quand il s’agit de repousser l’attaque du rapace qui a, lui aussi, des enfants à nourrir.
Malheureusement sans succès car, sans anticiper, on a vu un milan repartir avec, dans chacune de ses pattes, une très jeune Mouette rieuse.
Il est temps d’évoquer le second visage de notre amie.
A la fin de l’hiver, certains ont pu la voir faire un baiser à l’un de ses congénères. Ils ont cru à une marque d’affection, mais ils se sont trompés, car c’était le baiser de Judas.
C’est, en fait, une querelle dépourvue de toute aménité dont ils ont été témoins.
Il est bien pire encore !
A l’approche de juin, les enfants sont nés. La mouette semble bonne mère, quoiqu’elle ne se montre pas si souvent disponible pour sa progéniture.
Mais elle montre, hélas, l’autre face de son visage. Qui pouvait la croire tendre, la découvre cruelle.
Bien tristement cruelle.
Une ou plusieurs mouettes voisines attaquent les enfants de leurs propres sœurs.
Les parents les protègent de leur mieux, mais ne peuvent pas toujours empêcher la mise à mort.
Ce comportement est assez rare, pour ne pas dire exceptionnel, dans le monde de l’oiseau.
Oublions-le pour ne songer qu’aux survivants.
Ces toutes jeunes mouettes qui, attendant parfois en vain leurs parents, montrent bien, dès leur plus jeune âge, qu’elles sont crieuses. De naissance !
Voici ce qu’il en coûte, parfois, d’être nidifuge.