La petite oie qui vient du froid

Cette petite oie nous vient du froid.

Petite, car son poids n’excède guère celui d’un beau colvert.

Coincée entre deux hivers trop proches, elle niche essentiellement dans la péninsule du Taymïr où il fait, aujourd’hui, pas loin de -40 degrés.

Son séjour parmi nous ne peut donc qu’être bref car son voyage est long de 6 000 kilomètres.

Bien des légendes entourent cet oiseau dont on ne se lasse pas. Son nom latin « Branta bernicla bernicla » a fait supposer, jadis, que la belle était née d’un coquillage, la bernique. Entre autres choses et autres rêves.

Essentiellement littorale, la cravant ne séjourne que fort peu dans les eaux douces et, du reste, ses voies de migration restent collées à la côte.

Son régime alimentaire explique sans doute bien des choses.

Gastronome, elle goûte fort la zostère, plus énergétique que les algues, lichens et autres mousses dont elle sait se satisfaire lors de ses séjours au Nord.

Notons, au passage une sorte d’exception. Contrairement à sa lointaine cousine, la sarcelle d’hiver (elle aussi née d’un coquillage selon nos aïeux) elle enrichit les apports caloriques quand vient l’hiver et non au moment d’élever sa nichée. Ce n’est pas si mal vu, finalement.

On ne s’étonnera pas qu’elle séjourne en plus grand nombre dans le bassin d’Arcachon qui lui offre, pour son mets favori, le plus grand herbier d’Europe, avec 7 000 hectares.

Au fil des ans, ses quartiers d’hiver glissent vers le Sud, et si le Sud Bretagne fût sa zone de prédilection, il a laissé sa place au Pertuis charentais qui à cédé, à son tour, devant la Gironde.

35 000 oiseaux (soit 35% de l’effectif français) y séjournent de novembre à février.

Uni pour la vie, le couple se forme en hiver.

Son rythme de vie est dicté par les marées.

Les petites oies se reposent à marée basse, et puis regagnent la côte selon l’humeur et la vigueur des flots. Chemin faisant, elles se régalent de zostères, comme de bien entendu.

Bavarde, la Bernache cravant reste presque toujours en contact grâce à ses cacardages aux formes diverses.

Avec l’expérience, on apprend à reconnaître le cri de contact qui indique la présence de nourriture, le cri d’alarme signalant le danger, et les simples bavardages de groupe à groupe.

Bien élevée, elle se tait quand elle a le bec plein.

Bientôt les cous se dressent, la nage se fait plus vive. Le groupe se resserre : les oiseaux vont s’envoler.

Autre forme de langage, gestuel cette fois, qui n’est pas moins éloquent.

Grégaire, la cravant se déplace en groupe, y compris lors de ses migrations. Elle sait ainsi se protéger contre les risques et, au printemps, contre les prédateurs, l’ours, le renard polaire ou la chouette harfang.

Elle aussi rejoint la mer des Wadden pour muer ses rémiges.

Adepte du vol battu, elle migre en famille et respecte pas moins de 15 étapes sur son trajet, même si 4 seulement durent plus de 48 heures.

Là-bas, au Nord, la femelle pond quelques 6 œufs qu’elle sera seule à couver durant plus de 3 semaines, 25 jours en moyenne.

Par mesure de sûreté, les œufs sont recouverts de duvet, si les adultes doivent s’absenter.

Les petits, nidifuges, des poussins donc, sont capables de voler à l’âge de 40 jours.

Leurs parents, courageux, n’hésitent pas un instant à voler vers l’Harfang, pour défendre leurs vies.

Ils n’atteindront la maturité sexuelle qu’à trois ans.

Rien de très surprenant, donc, à ce qu’ils suivent leurs parents lors de leur tout premier voyage.

En novembre ou décembre, on peut les reconnaître au sein des groupes familiaux. Pas tant à l’absence de collier, signe fréquent mais aléatoire, qu’à la présence de lisérés blancs sur leurs ailes.

La Bernache cravant s’habille de noir (au point que certains l’appellent l’oie noire) et de blanc avec quelques nuances de gris et de roux.

Elle n’est pas très spectaculaire.

Mais que son histoire est belle !

Créé le 12/02/2016 par Patrick Fichter © 1996-2024 Oiseaux.net