Il ne fait aucun doute que Frédéric Chopin aurait volontiers consacré un mouvement au chant de cet oiseau magique qu’est la Grue cendrée.
C’est, en effet, en Pologne, après la Russie et la Suède, que ses nids sont les plus nombreux.
A la fin de l’hiver, parfois dès les premiers jours de février, d’autres années en mars, cet oiseau fait route vers le Nord et l’Est.
Le plus grand de nos échassiers accuse 1.20 mètre sous la toise, et affiche, sur la balance, un poids moyen de 5 Kg.
Son envergure dépasse les deux mètres.
La Grue nous fait l’honneur et le bonheur d’hiverner en nombre chez nous, Hexagonaux ; si l’Espagne tient son rang avec environ 70 000 hivernants, nous lui damons le pion avec quasiment 100 000 oiseaux.
Il est fort amusant de constater que le site principal se trouve, en Espagne, sur la lagune de Gallocanta, homonomie troublante avec, en France, le lac du Der Chantecoq.
Peut-être ces hasards linguistiques sont-ils un hommage au panache de la Grue que le plus beau des coqs de nos basses-cours lui envie.
Toujours est-il que les premiers coups de trompettes se font entendre dès le début octobre, alors que novembre marque en général le pic migratoire, les vols superbes allant parfois jusqu’à survoler nos maisons ou embellir nos clochers.
Grande migratrice, notre amie la Grue recourt au vol en formation (lignes, V, W) qui économise ses forces et son énergie. L’oiseau de tête, sorte de coupe-vent, est fréquemment relayé dans ce peuple grégaire.
La migration, pour elle, n’a pas d’heure, et le jour lui convient aussi bien que la nuit.
Sa particularité consiste à migrer en famille.
Les Gruaux de l’année, nés en avril ou en mai, sont accompagnés par leurs parents qu’ils ne quitteront qu’après leur premier hiver, lors de la migration pré nuptiale suivante.
Ils apprennent ainsi le chemin, les étapes, les comportements adéquats, la conduite à tenir face aux prédateurs et aux lieux de nourrissage.
Nous verrons, en parlant de l’hiver, qu’ils restent toujours proches de leurs parents.
Pour l’heure, nous nous contenterons d’écouter leurs sifflets, appels plaintifs qui évoquent un passereau, sans les voir aux heures crépusculaires qui sont celles du retour au dortoir.
Dans cette famille, en effet, autre spécificité, les jours d’hiver se distribuent entre le repos nocturne et la journée de nourrissage.
Bien des mythes l’évoquent, mais il est clair que pour la nuit, la Grue a le plus grand besoin de l’eau, espace salvateur qui la met à l’abri du renard comme du sanglier, ses prédateurs.
Elle se couche assez tôt et se lève sans attendre le premier son des mâtines.
Dès l’aube naissante, les premiers vols se dirigent vers leurs lieux de restauration.
Ils sont souvent distants d’une vingtaine de kilomètres, au moins.
Une autre vie commence.
Lorsque l’on a la chance de connaître ces endroits et de gagner la confiance de la Grue, le plus souvent farouche, mais parfois étonnamment conciliante, on apprend.
Son mets favori est le maïs, quoiqu’elle se contente parfois de jeunes pousses d’herbe ou, en Espagne, de glands de chênes vert, et même d’olives.
Qu’il s’agisse de vol ou de restauration, les immatures ne sont jamais loin des adultes.
De teintes bien différentes, plus ternes (bonne idée de la Nature), ils n’atteindront la pleine maturité, donc la capacité à se reproduire qu’à l’âge de 3 voire 4 ans.
Lors des réunions de famille, on peut voir plusieurs générations de jeunes.
Des écarts de taille les distinguent, et, pour les plus âgés, on remarque quelques traces rouges au sommet du crâne, ainsi qu’une queue plus développée.
Mais, au fait ! D’où vient ce bel ornement rouge qui décore la tête des adultes ?
Il s’agit d’une zone de peau nue alimentée par les vaisseaux sanguins dont la surface et la brillance progressent avec les mois, lors de la croissance des gonades.
Cette évolution physiologique nous privera de leur présence, mais avant, les premières parades commenceront, cous tendus, becs ouverts, jusqu’à cette petite danse et ces sauts dont on ne peut s'empêcher de rêver.