Lettres d'Afrique

Cette petite histoire a quelques décennies.

Je recevais alors des lettres d’AR Dupuy, directeur de ce parc du Djoudj, l’une des trois premières réserves ornithologiques au monde.

Il s’agit de l’une des rares contrées vertes du Sahel et 350 espèces y passent l’hiver au milieu, ou au bord de 16 000 hectares.

Le Parc National du Djoudj a été créé en 1971 et classé au patrimoine mondial de l’Unesco dix ans plus tard.

Il accueille, un bon hiver, plus de 3 millions d’oiseaux.

Du Pélican blanc au balbuzard, en passant par le Martin-pêcheur et la plupart de nos canards de surface, il y avait bien des sujets de conversation.

Mais s’il est un oiseau qui m’a frappé le cœur et la mémoire, c’est bien cette petite sarcelle à la voix de crécelle et au beau sourcil blanc.

Après la traversée du Sahara, la sarcelle d’été peut faire enfin escale pour quelques mois dans ce havre de paix.

Elle partage donc sa vie, si l’on excepte ses aimables haltes de fin d’hiver ou de printemps, entre nos deux plus grands réservoirs d’oiseaux : l’Afrique et le septentrion.

Qu’on y songe quelle que soit la saison !

Très légèrement plus grande que sa cousine la sarcelle d’hiver (à quelques dizaines de grammes près) la sarcelle d’été qui, pour nous, porte assez mal son nom, est très clairement sudiste en hiver et nordiste en été sans provoquer, pourtant, de guerres de sécession.

A la différence de sa cousine, elle ne fréquente que bien rarement le littoral et affirme, sans complexes, une très nette prédilection pour l’eau douce, de faible hauteur, comme, par exemple, ces prairies inondées, naguère abondantes en Vendée.

N’attendons pas le nid à moins d’être nés sous le signe chanceux, ascendant veinard.

Moins de 400 nids se construisent chaque année en France.

La Russie et ses voisins immédiats s’accaparent plus de 95% des nichées, soit, à peu près, 590 000 couples nicheurs ou plus d’un million d’oiseaux, bien que l’évolution de ses effectifs en Russie soit assez mal connue.

C’est véritablement un cas qui doit pousser à réfléchir sur le devenir de ces terres septentrionales ou de ces eaux africaines qui servent, en quelque sorte, de banques à nos richesses.

Un patrimoine qui, pour être international, n’en est pas moins fragile car les effectifs sont en déclin depuis d’assez nombreuses années.

Voici qui nous rappelle que toute dégradation d’un quelconque de ses habitats peut fortement nuire à une espèce qu’il soit directement dû à l’action de l’homme ou non.

Ouvrons l’œil et restons vigilants.

En espérant, évidemment, que le pire ne soit jamais sûr, profitons de ces chances qui nous sont offertes et admirons l’oiseau qui vient de si loin nous rendre visite.

Il pourrait suffire de cette magnifique virgule blanche, mais notre amie, coquette sans aucun doute, ne s’en contente pas.

Elle donne aussi à admirer ses teintes que l’on dit vineuses sur ses joues, les mailles de sa poitrine, joliment tricotées, et, surtout, ses longues scapulaires bleues frangées de noir.

Après la longue sieste légitime que le migrateur s’est accordée, notre amie la sarcelle ne néglige pas de parader, comme si elle allait nicher là.

Quelques petites agressions coutumières entre mâles rappellent que la saison et les hormones sont en place.

Le lendemain, peut-être, dans un autre marais, vous serez survolés par un vol d’une douzaine de ces oiseaux de mars qui donnent de la crécelle.

Vous qui avez ouvert l’œil, tendez à présent l’oreille !

Créé le 11/03/2016 par Patrick Fichter © 1996-2024 Oiseaux.net