Cher Milan,
Migrateur, éboueur, prédateur à tes heures, tu ne manques pas un printemps.
Fidèle en amour, fidèle à tes nichoirs, à la branche près, tu nous charmes à chaque début de mars par tes sifflements qui te valent, parfois, d’être traité de cheval volant.
On te reproche, non sans raisons, cette détestable habitude qui tu as de te spécialiser dans la chasse des enfants de l’échasse, de la Sterne caugek, ou de la Mouette rieuse lorsque les lieux s’y prêtent.
Ce défaut, mis à part (oublions-le tout de de suite) tu es un oiseau parfait.
Seule une manifeste erreur de traduction te fait porter le nom de noir, car, en latin, c’est de migrateur que tu es qualifié.
Tu n’a, en vérité, rien de noir si on te connaît. La calotte grise, les bottines rousses et des plumes volières d’une si riche couleur, pleine de nuances.
Il faut avouer que tu es beau.
Ce regard …
Un regard de rapace, évidemment, mais d’une telle variété qu’ayant la chance de te fréquenter, je connais tes sentiments. Mais si, Milan !
Tes yeux peuvent aller du brun noisette au jaune d’or et servent parfois à distinguer ton sexe, malgré l’absence de dimorphisme qui te caractérise.
Je sais que tu n’es pas paresseux, mais tout simplement malin.
Pourquoi dépenser 20 fois plus d’énergie pour franchir les 4 à 5 milliers de kilomètres qui séparent tes terres hivernage africaines de tes aires de reproduction européennes ?
Ce serait le prix de l’effort si jamais tu décidais, un beau jour, de parcourir la même distance en vol battu.
Roi des planeurs, tu aimes sentir l’ivresse des cimes, avoue.
On te voit bien prendre du plaisir dans tes déplacements locaux en compagnie des cigognes blanches, poussé par l’air malicieux, ton complice.
Ces courants ascendants thermiques qui te facilitent tant la vie ne se forment pas au-dessus de la mer ni par n’importe quel temps.
Fort instruit de ces affaires de vol, tu converges, avec tes congénères, en grands groupes, dans le détroit de Gibraltar, par exemple, et lorsque que vous avez, au retour, à franchir les cols pyrénéens, c’est par beau temps, en milieu de journée, que vous êtes les plus nombreux, comme par hasard.
Tu es aussi un acrobate.
Au moment des parades, tu sais saisir habilement dans tes serres, celles de ton partenaire, pour des figures acrobatiques qui nous charment.
Ce n’est presque rien, encore, lorsque que l’on peut être témoin de l’extrême précision de tes atterrissages, qu’il s’agisse de changer de perchoir, d’en choisir un, ou de te poser sur le dos de ton épouse.
Pourtant, tu peux sembler maladroit en quelques circonstances.
Au moment de l’offrande, tu arrives la proie dans les pattes ou bien dans le bec, mais il arrive souvent que tu la laisses tomber ou que tu manques la cible offerte.
Mais je te connais, Mon cher Milan.
Ce n’est pas du tout de maladresse qu’il s’agit, mais d’un peu d’égoïsme.
A l’instar de ton ami le Guêpier qui, comme toi, passe l’hiver en Afrique, tu fais de ton perchoir un lieu hautement stratégique. Site d’observation, d’affût, de toilette, d’accouplement ou d’offrande…
Parlons d’offrande précisément.
Le Guêpier qui sait se montrer généreux, en cette matière, te traiterait, très certainement, d’avaricieux.
Qu’importe !
Si ton épouse t’accepte ainsi, malgré tes si petites imperfections, c’est qu’elle a ses raisons, et elles sont beaucoup plus décisives que celles d’un humain auquel il ne reste qu’à te saluer.