Le petit joyau de nos rivières est un pêcheur émérite. Naguère vilipendé par les pisciculteurs, il ne doit peut-être son salut qu’à sa beauté, décrite par Paul Géroudet avec tendresse, et, il faut le reconnaître, avec la légèreté de la plume et l’humour que ses lecteurs fidèles lui connaissent.
Même s’il est fort loin de commettre les dégâts qu’on a pu lui prêter (accusation qu’il partage avec le Héron cendré et le Grand Cormoran, entre autres) ce pêcheur hors pair a une nette préférence pour l’affût.
Tout lui est bon.
Un piquet, le bord d’une barque, une branche de pin, quand ce n’est pas un roseau.
D’une patience infinie, lors de cet exercice, il adopte également le vol stationnaire.
Cette technique, bien plus éprouvante, ne le laisse généralement en l’air que moins de cinq secondes, mais il arrive que, peut-être poussé par un appétit féroce, il tienne le vol pendant trois fois plus longtemps. C’est un bonheur pour son admirateur.
Quelle que soit la méthode, le succès est loin d’être toujours au rendez-vous. Deux fois sur trois, c’est l’échec.
Il en faudrait bien d’autres pour décourager Martin, patient et opiniâtre.
Enfin la récompense est là ! Ablette, gardon, vairon, goujon, et d’autres. Un poisson tout petit ou de taille respectable qui ne doit pas excéder toutefois, les 7 centimètres car la proie pourrait bien, alors, étouffer le prédateur.
Il l’estourbit bien vite en le frappant sur son perchoir vigoureusement.
Un premier signe : s’il le tient la tête dirigée vers son gosier, il va l’avaler ; dans le cas inverse, il va l’offrir soit à sa femelle, en guise d’offrande, soit à ses enfants pour les nourrir.
Mais le temps n’est pas venu. Pour l’heure, encore célibataire, il ne pense qu’à se nourrir.
Un têtard ou une minuscule grenouille pourraient bien s’inscrire à son menu du jour.
Dès mars, il entre subitement dans l’empire des sens.
Une femelle est apparue dans son territoire.
Ensemble, ils effectuent de grands vols, jusqu’à la cime des saules, échangent de nombreuses paroles et deviennent prodigues de leurs cris.
La Dame quémande en imitant l’attitude d’un jeune oiseau qui bat des ailes dans l’espoir de sa pitance.
Monsieur a compris.
Bien vite, il tend le bec, se grandit pour paraître plus beau. Il s’envole et revient prestement un poisson au bec et le présente à sa fiancée qui l’accepte de bon cœur puis s’allonge sur la branche, ailes frémissantes. Les oiseaux se prennent le bec à la manière d’une querelle qui est loin d’en être une en ces circonstances.
Derechef, Martin saute sur son dos, tenant sa nuque dans le bec et célèbre les noces.
Son devoir accompli, il plonge de joie et de fierté.
C’est le travail qui attend à présent les jeunes mariés.
Cavernicole, à l’instar, notamment du Guêpier dont il partage parfois les sites, en bordure de fleuve ou de ruisseau, la flèche bleue de nos rivières accomplit un lourd travail de terrassier.
Elle doit affronter dix jours de travail intensif, volant sur place et attaquant du bec la paroi rétive, pour déblayer ensuite, à force de pattes, la terre en surnombre.
70 centimètres de galerie complétés par la chambre nuptiale de belles dimensions.
Harassé, Martin est tout heureux de voir son épouse, satisfaite de son labeur, qu’elle a du reste partagé, déposer 6 jolis œufs blancs qui seront couvés, à parti du dernier œuf pondu par deux adultes parfaitement solidaires.
A l’issue de trois semaines d’incubation alternée, les oisillons naissent nus et aveugles.
Il faut tout d’abord les protéger du froid et les parents se succèdent pour les couvrir de leur chaleur salvatrice.
C’est souvent le père qui vient alimenter son épouse en menu fretin.
Les enfants grandissent et forment rapidement le fameux carrousel qui permet à chacun d’entre eux d’être alimenté, à parts égales, avec les frères et sœurs.
Naturellement bien plus disciplinés que les jeunes de leur fréquent voisin le Guêpier, ils ne se bousculent pas et on attendrait en vain des tirages de queue.
On ne perd rien pour attendre.
Les querelles sont pour plus tard.
Lorsqu’ils sont âgés de 4 semaines, les jeunes martins quittent le nid, vivement incités par leurs parents. Réunis sur une branche, côte à côte, ils offrent un merveilleux spectacle à ceux qui ont la chance de les voir ainsi paisibles profiter du soleil et de l’entrée de plain-pied dans la vraie vie.
Encore nourris quelques jours, ils vont vite être chassés par leurs géniteurs soucieux du devenir fragile de leur famille.
Place aux futurs jeunes, en quelque sorte.
Le futur de cette espèce est toujours incertain car un hiver bien rude peut ôter la vie à près de 90% de l’effectif.
Mature dès l’âge de 9 mois, notre Martin-pêcheur tire une de ses protections naturelles les plus fortes de sa prolixité. Si les jeunes sont ainsi vigoureusement chassés, c’est tout simplement en raison du fait que les adultes font fréquemment deux voire trois nichées annuelles et que leur modeste territoire n’offre pas les ressources nécessaires à l’alimentation de tous les gosiers affamés.
Nous étions en juin lors des premiers vols de ces immatures étonnés de voir cesser la sollicitude parentale.
Dès août, les enfants de Martin ont compris.
Progressivement, ils ont largement élargi le champ de leurs promenades, et se promènent en des endroits qui, s’ils ne conviendraient nullement à la construction de leurs futurs nids, n’en sont pas moins des lieux de pêche tout à fait convenables, quasiment d’enviables zones d’hivernage.
Alors, on voit ces Martins immatures se poursuivre sans cesse, s’houspiller par de petits cris et ouvrir parfois grand le bec tout en levant les ailes en signe de dissuasion. Trois critères permettent de différencier ces jeunes oiseaux des adultes : l’extrémité du bec est blanche. La poitrine est encore marquée de quelques plumes grises, et les pattes, orangées chez l’adulte, sont encore grisâtres.
La paix reviendra bientôt, chacun ayant affiné ses recherches et trouvé son territoire.
Si l’hiver peut être meurtrier, notre si beau Martin lutte contre ce sort ultime avec sa grande prolixité.
De préférence sédentaire, il lui reste une dernière ressource si les conditions sont trop pénibles : migrer.
On peut dire de lui que c’est un migrateur de l’extrême.
Souhaitons-lui donc des hivers doux et des printemps pluvieux.