Un si bel enchanteur

Un nom et un régime d'insectivore
Merops apiaster...
Bien sûr chacun sait quel magnifique oiseau se dissimule derrière ces deux mots, l'un grec, l'autre latin.
Merops pour le grec, apiaster pour le latin. Notre oiseau appartient à ceux dont le nom est issu, soit de leur chant, soit de leur nourriture. Aristote avait retenu apiaster, comme celui qui mange des abeilles ; cette appellation était formée sur le nom latin - apis - qui a généré abeille, puis apiculteur. Sage était Aristote. Mais, au fil des siècles, les italiens le nommèrent - vespiere - issu de - vespa -, non un petit scooter, mais bel et bien une guêpe.

© Patrick Fichter
Nos amis britanniques l'ont appelé - bee-eater -...- Eater - veut dire, en anglais, mangeur, mais - bee - ? Abeille ! Alors ? Mangeur d'abeilles ou bien mangeur de guêpes ? Ici prend place la longue opposition entre ces deux savants admirables que furent Linné, le suédois, et Buffon, le français. Buffon commentait toujours abondamment l'origine des mots, et il fut de grande ressource pour l'étymologie. Linné était un grand, mais un strict scientifique, qui est resté muet sur l'origine des noms qu'il a choisis. La notoriété les opposait en ce XVIIIème siècle qui voyait la langue française dominer en Europe. Carl Von Linné, du reste, avait interdit à ses filles d'apprendre le français. Mais force restera, pour cette fois, à Buffon, puisque nous sommes en France. Il disait - Cet oiseau mange non seulement des guêpes qui lui ont donné son nom français, et les abeilles qui lui ont donné son nom latin, anglais etc..., mais il mange aussi les bourdons, les cigales, les cousins, les mouches, et autres insectes qu'il attrape en volant -. En nommant Merops apiaster, notre Guêpier d'Europe, Linné a rejoint les thèses d'Aristote qui nous a quittés 322 ans avant l'ère chrétienne. Des abeilles et des guêpes mais encore ? Strictement insectivore, le guêpier peut manger jusqu'à 250 abeilles par jour...


Son menu comporte de nombreux hyménoptères comme l'abeille ou la guêpe, les bourdons, les frelons.
Pour compléter ce plat de résistance, viennent les papillons, et les libellules.
Les coléoptères, bien représentés par les cétoines et les hannetons, viennent varier l'ordinaire. Au moment du dessert, peut-être quelques diptères (la famille des mouches et des taons) ou bien une verte sauterelle. Parfois, dans le sud, une cigale, l'insecte le plus bruyant de la planète.
Majestueux guêpier

Merops appartient à la grande famille des Méropidés.
Vingt-quatre espèces connues dans le Monde.

© Patrick Fichter

Cette belle famille fait partie de l'ordre des coraciiformes. Celui des Rolliers, celle des Martin-pêcheurs. Celui des beaux plumages, des oiseaux colorés.
Que dire du plumage de Merops ? Il conjugue à merveille les roux châtaigne, les jaunes d'or, le noir, le blanc, les verts...et aussi les bleus, les bleus turquoise.
Comble de l'élégance, son iris rouge carmin vient rehausser encore sa beauté.
Les deux rectrices médianes, les filets, dépassent les autres de 2 cm environ.
Le guêpier ne peut être confondu avec nul autre oiseau. On lit souvent qu'il est de la taille d'un merle. Il est vrai que le merle mesure 24 centimètres, pour 27 chez Merops. Mais c'est insuffisant pour rendre compte de la différence de stature ; le guêpier est beaucoup plus élancé, longiligne serait-on tenté de dire. Il est svelte, avec un poids moyen de 55 grammes (de 48 à 78 g pour le mâle et de 44 à 72 g pour la femelle). A comparer aux 100 grammes de notre Merle noir dont on ne saurait dire, pourtant, qu'il est enrobé.
Le dimorphisme sexuel est discret, infime, même.
Sans doute le plumage de Monsieur est-il un peu plus éclatant, comme souvent, mais il s'agit là de nuances plutôt subtiles.
On peut reconnaître Madame à ses scapulaires un peu plus verdâtres, moins dorées, et aussi à ses couvertures alaires où le vert est plus abondant ; l'aile semble ainsi moins rousse.
Leurs enfants, par contre, sont très aisément reconnaissables à leurs teintes plus douces, parmi lesquelles dominent, sur la calotte et le manteau, le roux et le vert.
Chez eux, les rectrices médianes ne sont pas encore effilées, et l'iris est noir. Non content de ce festival de couleurs, le guêpier se fait remarquer par son chant, ses appels roulés et liquides, si difficiles à transcrire. Inoubliables aussi, envoutants même.
Très souvent c'est ce chant qui permet de l'identifier, alors même qu'il est encore hors de vue, chassant très haut dans l'azur ou perché au sommet d'un grand arbre ; lorsque le nombre des oiseaux augmente, aux abords d'une colonie, par exemple, le concert devient grandiose. Bien des nuances peuvent être observées : cris de contact, cri d'alerte, appel des enfants ou du conjoint qui couve.
Chasseur d'Afrique
D'origine asiatique, le Guêpier d'Europe a conquis, au cours des âges, la plupart des forêts et savanes tropicales, à l'exception de celles du continent américain. Supportant mal le froid, c'est en Afrique qu'il passe l'hiver. D'où ce surnom qui associe ses quartiers d'hiver à cette habileté qu'il montre à capturer ses proies en vol. D'aucuns se posent la question de savoir s'il s'agit d'un oiseau d'Europe qui va passer l'hiver en Afrique ou plutôt d'une espèce africaine qui vient se reproduire en Europe. La thèse dominante fait de lui un oiseau africain et il faut reconnaître que son histoire va dans ce sens. Qu'importe, finalement ? Merops est un grand migrateur.
On dit que ceux qui naissent en France, en Europe occidentale, vont, les noces accomplies, gagner l'Afrique de l'ouest, du Sénégal au Ghana.
Les familles issues du centre ou de l'est de l'Europe, iraient quant à elles, plutôt rejoindre l'Afrique de l'est, et même l'Afrique du sud.
Bientôt ceux-là retrouveraient le Kenya, l'Ouganda, les rives du lac Victoria ; pour certains le Transvaal, aux portes de Pretoria.
Ce bel oiseau traverse les océans et les déserts, dont le terrible Sahara, et franchit l'Equateur ; c'est un chemin semé d'embûches au cours duquel les étapes sont parfois rares. En France, il trouve des auberges accueillantes, dans la moitié sud du pays, dans le Languedoc, la Provence, le Vaucluse, et la Corse.
Mais aussi dans le Centre, les vallées de la Saône et du Doubs, jusqu'en Touraine.
Etapes plus surprenantes, peut-être, la Région Parisienne, et spécialement la Seine et Marne.
Certaines familles s'installent dans le Finistère Sud, la Dordogne, la Gironde ou la Vendée.
Environ 10 000 couples se reproduisent chez nous pour une population reproductrice estimée, en Europe, dans une fourchette allant de 480 000 à 1 000 000.
Ils affectionnent les paysages variés, présentant une alternance de pâtures, de cultures et de fiches, modérément entrecoupées d'arbres ou de bosquets.


Mais la présence de l'eau est tout aussi vitale, non seulement pour le bain, mais aussi parce qu'elle favorise l'abondance des insectes.
Elle n'est pas suffisante ! Encore faut-il des endroits propices à la construction des nids.
Les hauts bords sablonneux des rivières, comme l'Ariège, mais aussi des falaises naturelles, des carrières, des excavations de canaux ou de fossés.
Parfois, les terriers sont creusés au niveau du sol.
Petit calendrier de la vie
Merops est un oiseau grégaire. En couple, ou bien encore célibataire, il vole en groupe le jour et rejoint ses congénères pour passer la nuit dans ses dortoirs qui rassemblent souvent plusieurs dizaines d'oiseaux.
Les guêpiers s'organisent en sociétés complexes. La famille comprend le couple, assisté, parfois d'un aide, le fameux assistant, souvent un jeune mâle qui contribuera à la construction du nid et à l'élevage des petits.
Plusieurs familles constituent un clan dont les membres restent en contact continuel par la voix.
Plusieurs clans forment une colonie. La solidarité y règne et les guêpiers qui lui appartiennent recherchent les contacts et s'alertent mutuellement en cas de danger.
Il arrive qu'un couple niche en solitaire, mais ce n'est pas fréquent.
Merops niche en colonies, de 20 à 30 oiseaux, généralement, en France ; il ne défend pas de territoire, à proprement parler. Le seul territoire de la famille est le perchoir. Pendant la période de reproduction, il sert tout à la fois de poste de guet, de lieu de parades et de toilettage.
Ce perchoir est âprement défendu contre tout intrus ; qui n'est pas membre du clan y est accueilli à coups de bec. Même les jeunes ne sont pas épargnés.
Arrivant, déjà appariés, sur les sites fin avril ou dans les premiers jours de mai, les oiseaux prennent une petite semaine pour s'installer et choisir leurs perchoirs.
Aussitôt commence le creusement ou la restauration des terriers qui va les occuper pendant 10 à 20 jours. C'est en effet une lourde tâche. Prenant son élan, le bec pointé vers le sable l'oiseau pique vigoureusement le sable.
Fermement appuyé sur ses rectrices, il creuse avec le bec, aussi longtemps que des racines ou une pierre ne le dissuadent pas. Ainsi s'explique la présence d'ébauches de terriers abandonnées en raison d'obstacles trop importants.
Les deux conjoints se relaient sans relâche, et il n'est pas superflu d'être deux pour creuser cette grande galerie, et l'achever par une belle chambre d'amour ! 10 à 12 kilos de déblais qui sont évacués par des pédalages activant ses courtes pattes. Le terrier se termine par une chambre ovale aux dimensions variables ; lorsqu'elle est assez confortable, elle permet aux parents nourriciers de faire demi-tour et de sortir du nid - en obus -. Les architectes les moins courageux devront passer la marche arrière.
Quelques jours plus tard, les parades commencent. On assiste aux offrandes et aux premiers accouplements, au sol ou sur l'un des perchoirs.



Vers la fin mai, les œufs (de 3 à 6) blancs sont pondus à 24 ou 48 heures d'intervalle et l'incubation débute dès le premier œuf.
Elle va durer 21 jours au cours desquels les oiseaux seront beaucoup moins visibles.
Monsieur et Madame se relayant à des intervalles qui peuvent descendre jusqu'au quart d'heure, c'est un peu comme si l'effectif était divisé par deux. Fort occupés par cette tâche essentielle, ils ne trainent pas sur les perchoirs !
Un peu avant la mi-juin, les premiers oisillons éclosent. Ils vont faire un séjour de 28 jours au nid.
A ce moment, les parents redoublent d'activité ; le temps du nourrissage est arrivé.
Passées trois semaines, les premières bousculades interviennent entre de jeunes gaillards qui guettent leurs parents à la sortie du terrier. Les parents n'entrent plus, alors, dans la galerie et se posent devant l'ouverture, donnant la becquée aux jeunes qui se pressent à la fenêtre.


Un peu avant la mi-juillet les plus précoces font leur premières sorties, encore un peu maladroits et instables sur les branches. Pour le naturaliste, il est émouvant d'assister à ces premiers envols après avoir suivi la vie de la colonie. Tout fiers, les juvéniles ne tardent pas à joindre leur voix à la chorale. Ils reviennent passer la nuit au nid.
Les promenades en famille conduisent les oiseaux de plus en plus loin du nid ; il faudra encore trois semaines aux parents pour faire de leurs jeunes des guêpiers accomplis. Le nourrissage se poursuit hors du nid ; mais les parents se montrent vite inflexibles et refusent bientôt la becquée, car il est temps pour les jeunes d'apprendre à chasser. Dès le 15 août, les familles se regroupent et reprennent le chemin de Gibraltar.



Menaces sur Merops
La vie de Merops est parsemée d'embûches.
Outre les fatigues dues à l'effort migratoire, les variations climatiques peuvent rendre rares les insectes, bien que notre ami, et ses petits puissent supporter une disette momentanée.
Il connaît des prédateurs tels que l'épervier ou le faucon d'Eléonore.
L'érosion naturelle peut faire disparaître certains de ses habitats, et la croissance de la végétation sur ses falaises le conduit à abandonner ses terriers.
Mais tout ceci n'est rien face à l'action de l'homme.
Lui fait disparaître ses colonies en défigurant l'endroit par des décharges sauvages. Autre exemple de ce dernier printemps en Charente-Maritime. Une très ancienne colonie d'une centaine de nids a été privée de logement par l'action du propriétaire qui a fait araser une grande falaise dans le but de créer un étang destiné à la pêche, et en a bien - nettoyé - les abords afin d'y recevoir dignement ses amis…Les effectifs ont été divisés par 3 même si quelques couples ont pu se réfugier alentour.
Très souvent, la poursuite de l'exploitation dans les carrières de sable produit les mêmes résultats.
Il s'agit pourtant d'une espèce protégée dont la destruction des nids est interdite et sanctionnée pénalement.
L'utilisation excessive des pesticides le prive aussi de nourriture.
Triste palmarès !
Mais ça n'est pas tout, encore.
A Chypre de 3000 à 5000 guêpiers sont tués, chaque année, pour être mangés ; c'est la même chose à Malte ou dans le delta du Nil.
L'apiculteur lui voue une haine farouche ! Tel le pisciculteur qui piège le martin-pêcheur, l'éleveur d'abeilles ne peut tolérer un…mangeur d'abeilles.
En Espagne, au Maroc ou en Grèce, il est pourchassé.
Tué au fusil, ou bien piégé avec des cannes à pêche appâtées avec des abeilles vivantes.
Le poison est fréquemment utilisé : strychnine ou cyanure, d'autres produits encore sans préférence marquée pourvu qu'ils tuent.
Comment ne pas être révolté ?
C'est indigne, et, au surplus, stupide.
Aristote avait été l'un des premiers à démontrer l'étroitesse des liens unissant les populations de guêpiers aux populations d'abeilles.
L'Afrique possède des millions de ruches traditionnelles et abrite les deux tiers des abeilles du monde ; elle attire aussi les deux tiers de la population mondiale de guêpiers.
Mais, car il y a un mais de taille !
Dès 1936, au Kazakhstan, devant l'ampleur des prélèvements, une équipe de chercheurs fut chargée d'étudier l'impact réel du prélèvement exercé par les guêpiers.
Résultats de l'enquête : le guêpier mange surtout de vieilles abeilles ou les individus malades, tout en consommant de multiples autres insectes prédateurs de l'abeille.
Ce faisant, le guêpier limite la propagation des maladies et assure plutôt la sécurité de la ruche.
Les chercheurs ont conclu qu'il fallait reconsidérer les points de vue et protéger le guêpier.
Alors, Messieurs, de grâce ! Remisez vos fusils, rangez vos pièges et oubliez le poison.

Créé le 06/12/2011 par Patrick Fichter © 1996-2024 Oiseaux.net